Dissoudrel’Euro : une idéequis’imposera
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Depuis la fin du printemps, un concert de « bonnes nouvelles » nous vient des pays d’Europe du Sud. La croissance reviendrait au Portugal et en Espagne, et même en Grèce. Les taux se maintiennent à un niveau considéré comme « raisonnable ». En bref, la crise de la zone Euro serait derrière nous. Pourtant, à mieux y regarder, on peut sérieusement douter de la réalité de ces affirmations.
Sommesnoussortis de la Crise ?
Il y a beaucoup de manipulations, mais un peu de vérité dans ces affirmations. Commençons par le peu de vérité qu’elles contiennent. Oui, la crise est en train d’atteindre un plancher. C’est évident en Espagne ou le chômage semble désormais stabilisé, quoiqu’à un niveau très élevé (25% de la population active). La crise ne semble plus s’aggraver ces derniers mois, mais ceci est loin d’être équivalent avec une sortie de crise. Ajoutons que des nuages plus que noirs s’accumulent à l’horizon : le crédit est toujours en train de se contracter (en particulier en Italie et en France), l’investissement se réduit toujours (et avec lui les perspectives de croissance future). Rien ne permet de dire que les pays d’Europe du Sud vont trouver dans les prochains mois le ressort d’une croissance leur permettant d’effacer la crise qu’ils connaissent. La perspective d’une nouvelle crise politique en Italie, venant s’ajouter aux difficultés économiques, est une forte probabilité[1].
On peut d’ailleurs constater (graphique 1) que l’amélioration de la balance commerciale dans ce pays est liée à la chute des importations et non à une hausse des exportations.
Graphique 1
Source : Natixis, Thelier C., « Italie, une rentrée agitée », NATIXIS Special Report, n° 155
De même, la montée des impayés dans le bilan des banques est un indicateur très sûr de l’accumulation des problèmes (graphique 2).
Graphique 2
Source : Natixis, Thelier C., « Italie, une rentrée agitée », NATIXIS Special Report, n° 155
Compte tenu de l’importance de l’économie italienne, qui est la troisième économie de la zone Euro, il est donc clair que la zone Euro est loin, très loin, d’être tirée d’affaires.
Au mieux, la crise va durer au même niveau qu’aujourd’hui. Au pire, et c’est ce que l’on peut craindre quand on regarde l’évolution du crédit et de l’investissement, après cette pause provisoire, les résultats devraient recommencer à se dégrader dès la seconde moitié de 2014. D’ores et déjà, il est clair qu’il faudra un nouveau plan de sauvetage pour la Grèce d’ici la fin de 2013[2].
Ceci nous conduit aux manipulations, largement évidentes dans nombre de médias. On ne parle plus que de la « reprise » alors que l’ensemble des indicateurs reste très inquiétants. Il y a un consensus dans une partie de la presse, essentiellement pour des raisons politiques, qui conduit à proclamer ce retour à la croissance alors que tout le dément. On a eu un exemple de ces pratiques à propos des statistiques du chômage en France. Ceci est instructif, tant quant à l’état de certains médias en France que du point de vue plus général de l’attitude des élites sur ce problème. Alors que l’on continue de discuter de la crise de l’euro en Allemagne, en Italie et en Espagne, le thème semble avoir disparu en France.
La crise en perspective.
La zone Euro a souffert de plusieurs maux : l’absence de flux financiers massifs pour égaliser les structures économiques des pays membres ; une Banque Centrale indépendante calée sur une politique inopérante[3] ; et une politique de déflation salariale initiée par l’Allemagne, s’apparentant à une politique de « passager clandestin »[4] – aussi qualifiée « d’opportuniste » ou de « non-coopérative » – qui a exacerbé les tendances préexistantes aux évolutions inégales des salaires et de la productivité.
Il faut ici rappeler que la crise de la zone Euro ne date pas des années 2010-2011, mais qu’elle a des racines bien plus anciennes. L’introduction de l’Euro impliquait aussi une politique monétaire unique pour les pays de la zone. Or, tant les conjonctures économiques que les déterminants structurels de l’inflation –les problèmes de répartition des revenus, mais aussi la présence de chaînes logistiques plus ou moins sensibles à des hausses de prix susceptibles de se reporter – entraînent des taux d’inflation structurelle différents selon les pays. Cette situation résulte de la présence de rigidités importantes dans l’économie, qui invalident la thèse d’une « neutralité » de la monnaie[5].
Cependant, dans le cadre d’une monnaie unique, les divergences d’inflation ne peuvent être trop importantes en raison des problèmes de compétitivité interne à la zone. Un certain nombre de pays ont alors dû avoir une inflation inférieure à leur niveau structurel. Cela les a, par suite, conduits à avoir un taux de croissance inférieur à leur taux de croissance optimal et explique pourquoi certains pays comme l’Italie ou le Portugal ont connu une croissance très faible. De fait, ces pays ont perdu sur les deux tableaux : en compétitivité et en niveau de croissance[6].
Tableau 1
Taux de croissance des pays de la zone Euro comparés avec les pays extérieurs à la zone (%)
1986/2012 1986/1999 2000/2007
Canada 2,48 2,75 2,84
France 1,81 2,30 2,06
Allemagne 1,86 2,36 1,67
Italie 1,24 2,00 1,56
Japon 1,70 2,44 1,52
Grande-Bretagne 2,45 3,07 3,16
États-Unis 2,59 3,30 2,59
Suède 2,31 2,21 3,23
Source : FMI, Outlook Database, Avril 2013
Si l’économie européenne va de langueur en récession depuis 2000, c’est bien à cause de l’Euro. Le fait que l’Allemagne ait tirée son épingle du jeu confirme cela, tant en raison des avantages comparatifs spécifiques de ce pays que de la politique qui y a été menée depuis 2002 (les « réforme » Harz-IV). L’Euro est au cœur du problème de l’Europe. Il condamne la majorité des pays l’ayant adopté à la récession ou à la crise, comme en Europe du Sud. L’Allemagne a « exporté » vers ces autres pays entre 4 et 5 millions de chômeurs.
L’option d’un fédéralisme européen[7], outre les problèmes politiques qu’elle introduit, se heurte à l’ampleur des flux de transferts que l’Allemagne devrait consentir au bénéfice des pays de l’Europe du Sud[8]. L’Allemagne supporterait en effet 90% du financement de la somme de ces transferts nets, soit entre 220 et 232 milliards d’euros par an (ce qui équivaut à 2200 à 2320 milliards sur dix ans), entre 8% et 9% de son PIB. D’autres estimations donnent des niveaux encore plus élevés, atteignant 12,7% du PIB[9]. Il convient donc d’en tirer toutes les conséquences : le fédéralisme n’apparait pas comme une option réaliste pour les pays de l’Europe du Nord et en premier lieu pour l’Allemagne. Il est sans objet de la présenter comme une possible solution[10]
La dissolution, seul horizon raisonnable ?
L’ampleur de la récession qui frappe de nombreux pays annonce un retour de la crise. La solvabilité des États n’est plus garantie. L’effondrement des ressources fiscales dans de nombreux pays constitue un accélérateur de la crise. Cette situation témoigne bien de la présence de défauts structurels dans la conception et dans la mise en œuvre de la monnaie unique[11]. Ces derniers, trop longtemps niés ou minimisés[12], sont aujourd’hui en passe d’être reconnus
Une dissolution de la zone Euro ne serait pas un « catastrophe » comme on le prétend souvent, mais au contraire une solution salvatrice pour l’Europe du Sud et la France. C’est ce que montre l’étude « Les Scénarii de Dissolution de l’Euro », publiée au début du mois de septembre[13]. On peut y lire, suivant les différentes hypothèses étudiées, non seulement l’effet très bénéfique des dévaluations sur l’économie française, mais aussi sur celles des pays aujourd’hui ravagés par la crise, comme la Grèce, le Portugal ou l’Espagne. Bien entendu, suivant les hypothèses retenues, à la fois sur le caractère plus ou moins coopératif de cette dissolution mais aussi sur la politique économique suivie, les estimations de la croissance divergent. Au pire, il faut s’attendre une croissance cumulée de 8% la troisième année après la fin de l’Euro et au mieux une croissance de 20%. Pour l’Europe du Sud, la croissance cumulée est en moyenne de 6% pour l’Espagne, de 11% pour le Portugal et de 15% pour la Grèce dans l’hypothèse la plus défavorable pour ces pays. Une première leçon s’impose alors : la dissolution de la zone Euro ramènerait la croissance dans TOUS les pays d’Europe du Sud et provoquerait une baisse massive et rapide du chômage. Pour la France, on peut estimer la baisse du nombre de chômeurs de 1,0 à 2,5 millions en trois ans. Par ailleurs, cela rétablirait l’équilibre des régimes de retraites et de protection sociale. Dans le cas de la France, ce retour à l’équilibre serait très rapide (en deux ans). Il aurait des effets importants sur les anticipations des ménages dont l’horizon serait dégagé des inquiétudes que font peser des réformes à répétition. La consommation augmenterait, et avec elle la croissance, même si on ne peut estimer cet effet. Cette dissolution redonnerait à l’Europe du Sud sa vitalité économique, mais serait aussi profitable à l’Allemagne, car une Europe du Sud en expansion continuerait de commercer avec son voisin du nord après un réajustement des compétitivités[14].
Les inconvénients seraient très limités. Compte tenu des taxes, l’impact d’une dévaluation de 25% par rapport au Dollar sur les prix des carburants ne provoquerait qu’une hausse de 6% à 8% du produit « à la pompe ». L’Euro disparu, les dettes des différents États seraient re-libellées en monnaie nationale.
Une telle politique imposerait aussi des contrôles des capitaux dans chaque pays. Notons que c’est déjà le cas à Chypre ! Ces contrôles, outre qu’ils contribueraient à définanciariser ces économies, limiteraient considérablement la spéculation et permettraient aux Banques Centrales de viser des objectifs de parité. Une fois ces parités atteintes, un système de fluctuations coordonnées des monnaies, comme du temps de l’ECU, pourrait être mis en place. Historiquement, ce qui a sonné le glas de ce système a été la spéculation monétaire. Celle-ci supprimée, ou fortement réduite, le système pourrait à nouveau fonctionner.
De la « monnaie unique » à la « monnaie commune » ?
Cette idée attire un certain nombre d’hommes (et de femmes) politiques. Et elle est loin d’être absurde, bien au contraire. En fait, une monnaie commune aurait dû être adoptée dès le début.
De quoi s’agit-il donc ? On peut imaginer que le système monétaire européen reconstitué que l’on aurait à la suite de la dissolution de l’Euro débouche sur une monnaie commune venant s’ajouter aux monnaies existantes, qui serait utilisée pour l’ensemble des transactions (biens et services mais aussi investissements) avec les autres pays.
Cette dissolution de la zone Euro, si elle résulte d’un acte concerté de la part des pays membres, devrait donner naissance à un système monétaire européen (SME) chargé de garantir que la nécessaire flexibilité des changes ne tourne pas au chaos. Si un tel système est mis en place, il aurait nécessairement des conséquences importantes sur le système monétaire international. Ce nouveau SME devrait, pour pouvoir fonctionner correctement, avoir les caractéristiques suivantes :
(i) Les parités entre les monnaies des pays parties prenantes de ce SME doivent être fixes, tout en restant révisables de manière régulière pour éviter que ne se reproduisent les déséquilibres qui emportent aujourd’hui l’Euro. Cela implique la constitution d’une unité de compte européenne et la réglementation des mouvements de capitaux à l’intérieur de la zone. Si les mouvements de capitaux aux fins d’investissement ne posent pas de problèmes du fait de la fixité des parités, il ne doit y avoir qu’un marché très réduit des options, lui-même sévèrement réglementé. Pour le reste, le marché monétaire ne doit se faire qu’au comptant avec interdiction absolue des positions à découvert. (ii) La fixation des parités doit se faire de manière coordonnée, dans le cadre d’un conseil financier européen, en prenant en compte les évolutions de productivité et de l’inflation dans chaque pays. Le but étant de réduire fortement les positions soit créditrices soit débitrices en matière de balance des paiements. Les déficits comme les excédents internes au SME devraient alors être reportés sur un compte spécial de la BCE – qui jouerait ainsi le rôle d’institution de clearing – et devraient être taxés au prorata de leur importance (par tranche) et de leur durée. (iii) Il est important que la législation bancaire, en particulier pour les banques de détail, soit harmonisée. De ce point de vue, un mécanisme d’union bancaire est tout aussi important qu’il ne l’était sous l’Euro. Cette union bancaire devrait être administrée par la BCE, dont les compétences et le rôle seraient alors redéfinis par un nouveau statut. (iv) La Banque Centrale Européenne aura la responsabilité de la gestion de l’unité de compte vis-à-vis des pays « hors zone ».Cela implique qu’elle aurait la responsabilité d’avoir un objectif de taux de change de l’unité de compte par rapport aux autres monnaies (hors-SME), et qu’elle devrait pouvoir intervenir pour défendre cet objectif sur les marchés financiers. Les transactions tant commerciales que financières hors du SME ne se feraient alors qu’en unité de compte. (v) Dans ce système monétaire européen, il n’est ni nécessaire ni souhaitable que le statut actuel des Banques Centrales soit conservé. Il convient de rapprocher les Banques Centrales des gouvernements – en passant d’une « indépendance » à une « autonomie » dans l’application des politiques décidées par les gouvernements – et de leur permettre de couvrir par des prêts et avances au minimum la partie non-structurelle du déficit (poids des intérêts de la dette, mesures budgétaires spéciales pour faire face à des crises ou tout autre imprévu). (vi) La dette des pays, pour l’heure détenue de 30% à 65% par des non-résidents (majoritairement européens) serait progressivement renationalisée. Les émissions de dettes ne pourraient se faire qu’en monnaie nationale, sauf accord européen pour maintenir une monnaie commune externe, qui devrait offrir des actifs de placements internationaux et qui justifierait qu’une part minimum des dettes soient libellée dans cette monnaie commune. En fait, l’usage de mécanismes comme les planchers minimums d’effets publics dans les actifs des banques fournirait les ressources nécessaires. (vii) L’unité de compte fonctionnerait comme un « panier » de monnaies, où les proportions de chaque monnaie, tout comme leurs parités pourraient être révisables.
Ce système correspondrait en réalité à l’existence d’une monnaie conçue comme une unité de compte venant s’ajouter aux monnaies nationales existantes. Cette situation serait très propice à la résurrection de l’Euro, mais sous la forme d’une monnaie commune
Ceci donnerait à l’Europe à la fois la flexibilité interne dont elle a besoin et la stabilité vis-à-vis du reste du monde. Un « panier de monnaie » étant intrinsèquement plus stable qu’une monnaie seule, cette monnaie commune pourrait devenir à terme un puissant instrument de réserve, correspondant aux désirs exprimés par les pays émergents des BRICS.
La dissolution de l’Euro, dans ces conditions, signerait non pas la fin de l’Europe comme on le prétend mais bien au contraire son retour gagnant dans l’économie mondiale, et qui plus est un retour qui profiterait massivement, tant par la croissance que par l’émergence à terme d’un instrument de réserve, aux pays en développement d’Asie et d’Afrique.
[1] Thelier C., « Italie, une rentrée agitée », NATIXIS Special Report, n° 155, 13 septembre, Paris.
[2] Artus P., « En quoi pourrait consister une nouvelle aide à la Grèce ?» FLASH-ECONOMIE Natixis, n° 598, 30 août 2013, Paris.
[3] Biböw J., « The Euro and Its Guardian of Stability » in Rochone L-P et S. Yinka Olawoye (edits), Monetary Policy and Central Banking : New Directions in Post-Keynesian Theory, Edwrd Elgar, Cheltenham et Northampton, 2012, pp. 190-226.
[4] Flassbeck H., « Wage Divergence in Euroland : Explosive in the Making » in Biböw J. et A. Terzi (edits.), Euroland and the World Economy – Global Player or Global Drag ?, Palgrave MacMillan, Londres, 2007.
[5] B.C. Greenwald et J.E. Stiglitz, “Toward a Theory of Rigidities” in American Economic Review, vol. 79, n°2, 1989, Papers and Proceedings, pp. 364-369. L. Ball et D. Romer, “Real Rigidities and the Nonneutrality of Money” in Review of Economic Studies, 1990, vol. 57, n°1, pp. 183-203.
[6] Voir sur ce point Biböw J. et A. Terzi (edits.), Euroland and the World Economy – Global Player or Global Drag ?, op.cit..
[7] Artus J., Trois possibilités seulement pour la zone euro, NATIXIS, Flash-Économie, n°729, 25 octobre 2012.
[8] Sapir J., “Le coût du fédéralisme dans la zone Euro”, billet publié sur le carnet Russeurope le 10/11/2012, URL: http://russeurope.hypotheses.org/453
[9] Artus P., « La solidarité avec les autres pays de la zone euro est-elle incompatible avec la stratégie fondamentale de l’Allemagne : rester compétitive au niveau mondial ? La réponse est oui », NATIXIS, Flash-Économie, n°508, 17 juillet 2012.
[10] Comme le fait Michel Aglietta, Zone Euro : éclatement ou fédération, Michalon, Paris, 2012
[11] Sapir J., Faut-il Sortir de l’Euro ? Le Seuil, Paris, 2012.
[12] Des travaux comme ceux collationnés dans Biböw J. et A. Terzi (edits.), Euroland and the World Economy – Global Player or Global Drag ?, Palgrave MacMillan, Londres, 2007.
[13] Sapir J., et P. Murer (avec la contribution de C. Durand), Les scenarii de la dissolution de l’Euro, Étude de la Fondation Res Publica, septembre 2013, Paris, 88p.
[14] Artus P. (red), « C’est la compétitivité-coût qui devient la variable essentielle » in Flash-Economie, Natixis, note n° 596, 30 août 2013, Paris.
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